Le Kenya, future porte d’entrée des déchets plastiques américains vers l’Afrique

Le Kenya, future porte d’entrée des déchets plastiques américains vers l’Afrique

Réunis au sein de l’American Chemistry Council (ACC), plusieurs producteurs de pétrole et de dérivés pétrochimiques font, depuis de nombreux mois, du lobbying pour pouvoir exporter massivement des déchets plastiques vers le Kenya, afin d’y installer une filière de recyclage. Or, Nairobi s’est doté, depuis 2017 d’une politique de limitation des importations et de l’utilisation des plastiques. L’accord commercial qui le lie aux USA expire en 2025, mais le président Uhuru Kenyatta s’est déjà dit impatient de conclure le deal. Les organisations de défense de l’environnement craignent que le Kenya ne devienne une porte d’entrée sur le continent pour les déchets plastiques américains.

Contexte

Depuis les cinq dernières années et avec la baisse drastique des prix du pétrole, l’industrie pétrolière a accru ses investissements dans la pétrochimie afin d’amortir ses pertes. On estime à environ 200 milliards de dollars l’investissement dans ce segment, ces dernières années. Ainsi, une bonne partie de l’offre pétrolière est massivement engloutie dans la production de plastiques. En 2019, le pays de l’Oncle Sam a exporté plus de 500 millions de tonnes de déchets plastiques dans le monde à des fins de « recyclage ».

Il faut rappeler que l’exportation de déchets plastiques est un moyen pratique pour les Etats-Unis et d’autres pays industrialisés de considérer les déchets plastiques comme « recyclés » et d’éviter les coûts et les impacts environnementaux de leur traitement. A cet effet, Ahmad Masrizal Muhammad, ministre malaisien de l’Energie, a affirmé : « les déchets sont commercialisés sous le prétexte du recyclage ».

Pour les USA, le succès de ce segment aura néanmoins été de courte durée, car dès 2018, la Chine qui en importait 90% lui a fermé ses frontières, conformément à sa nouvelle politique environnementale. L’empire du Milieu veut ainsi développer sa propre capacité de recyclage domestique. En réponse à cette mesure, de nombreux recycleurs ont déplacé leurs opérations de la Chine vers d’autres pays d’Asie, ce qui a d’ailleurs entraîné l’apparition de plus de 200 sites illégaux en Asie, notamment en Malaisie. Aussi, les exportations américaines de déchets plastiques vers l’Afrique ont-elles plus que quadruplé en 2019, par rapport à l’exercice précédent. On estime leur valeur à plus de 2 milliards de dollars.

Aux Etats-Unis même où on consomme jusqu’à 16 fois plus de plastiques que la moyenne des pays pauvres, la consommation de plastiques à usage unique déclenche de plus en plus de réactions de rejet qui rendent plus difficile leur commercialisation.

Actuellement, étant donné que plusieurs pays ont restreint leurs importations de déchets plastiques, les Etats-Unis ne savent plus que faire des leurs. D’où l’urgence de trouver un nouveau repreneur.

L’ACC qui est composé d’industriels comme Shell, Chevron, Exxon Mobil, DuPont et Dow est soutenu par l’administration Trump, qui a toujours été du côté des industriels du pétrole et de la pétrochimie, ces dernières années, quelles que soient les circonstances. Dans ses lettres aux autorités concernant l’accord de libre-échange entre les Etats-Unis et le Kenya, l’ACC a demandé aux responsables américains « d’interdire l’imposition de limites nationales sur la production ou la consommation de produits chimiques et de plastiques et de lever les restrictions sur le commerce transfrontalier des matériaux et des matières premières ». Et d’ajouter que les Etats-Unis et le Kenya « devraient permettre le commerce des déchets à des fins de gestion saine et de recyclage, conformément aux engagements internationaux pertinents ».

Intérêt pour le Kenya 

Si les négociations de l’accord commercial entre les Etats-Unis et le Kenya se poursuivent, c’est la posture très tôt adoptée par le président Kenyatta qui choque les organisations de défense de l’environnement. Le dirigeant a fait part de son intention d’accueillir les déchets plastiques américains et s’est dit « impatient » à ce sujet. Or, depuis 2017, le Kenya a mis en place un arsenal législatif en vue de protéger l’environnement vis-à-vis de l’utilisation des plastiques.

Certains analystes estiment que ce rétropédalage de Nairobi a pour but de relancer l’économie, qui a été lourdement affectée par la pandémie du coronavirus, notamment dans le secteur touristique. « Faire miroiter une grande filière du recyclage peut être alléchant », juge France Info.

Mais les conséquences pourraient être désastreuses. Malgré la législation en vigueur, le Kenya peine déjà à contrôler ses propres déchets plastiques. Des ONG ont remarqué qu’une grande partie des déchets, qui contiennent souvent les plastiques les plus difficiles à recycler, finissent dans les rivières et les océans. Plusieurs cours d’eau dans les grandes villes, à l’instar du Athi River qui traverse la capitale, sont saturés de déchets plastiques.

Derrière le tollé, la société civile s’organise pour empêcher le projet et les acteurs haussent le ton. « Ils veulent que le Kenya revienne sur sa législation sur les plastiques, y compris l’interdiction des sacs plastiques ? C’est un NON », a tweeté James Wakibia, un activiste qui a milité pour l’interdiction des sacs plastiques dans le pays. « L’Afrique ressemblerait à un nouveau dépotoir pour les déchets plastiques américains. Nous n’allons pas permettre cela », a, de son côté indiqué Griffins Ochieng qui dirige le Centre pour la justice environnementale et le développement au Kenya.

Pour l’instant, les autorités kényanes restent muettes.

Plaque tournante 

En avril dernier, Ed Brzytwa, directeur du commerce international pour l’ACC, a déclaré dans une lettre au bureau du représentant américain au commerce : « Nous pensons que le Kenya pourrait servir à l’avenir de plaque tournante pour l’approvisionnement en produits chimiques et plastiques fabriqués aux Etats-Unis sur d’autres marchés africains grâce à cet accord commercial ».

On voit clairement transparaitre la volonté des Etats-Unis de faire du Kenya une porte d’entrée pour ses déchets plastiques vers d’autres pays africains. Dans un contexte où les défis liés à l’urbanisation dans les villes africaines sont énormes, cela deviendra même un problème de développement majeur.

Par ailleurs, l’Afrique ne dispose pas de moyens techniques appropriés pour recycler les déchets plastiques américains. C’est ce que fait savoir Dr Innocent Nnorom, professeur associé en chimie environnementale à l’université de l’Etat d’Abia au Nigeria.

« La plupart des pays d’Afrique ne disposent pas de l’infrastructure de recyclage nécessaire pour gérer l’augmentation des déchets plastiques […] Une fois en Afrique, les nouvelles routes de libre-échange pourraient être utilisées pour faciliter les mouvements transfrontaliers vers d’autres pays africains. L’Union africaine et ses Etats membres devraient être à l’affût », a-t-il averti.

Il faut rappeler que la demande de produits pétrochimiques devrait exploser dans les prochaines décennies, les entreprises devant se tourner vers les pays à faible et moyen revenu pour développer leur marché. Le plastique est déjà le principal produit d’exportation des Etats-Unis vers le Kenya, avec des ventes totalisant 58 millions de dollars en 2019.

Le danger qui plane désormais sur le Kenya pèse également sur le reste du continent. En ouvrant la porte aux déchets américains, l’effet domino qui s’en suivra pourrait plonger la région dans une crise environnementale qui s’ajoutera à celle des dérèglements climatiques, importée elle aussi…

Agence Ecofin

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