L’industrie mondiale du diamant, victime inattendue du coronavirus

L’industrie mondiale du diamant, victime inattendue du coronavirus

Depuis le mois d’août, la compagnie russe Alrosa et son homologue sud-africain De Beers opèrent d’importants rabais sur les prix des pierres proposées à la vente. Cette décision est l’une des dernières prises par ces deux leaders mondiaux de la production de diamants pour redonner un nouvel élan au marché durement affecté par la pandémie de Covid-19. Grande victime de la crise sanitaire en cours, l’industrie du diamant, longtemps cantonnée à ses traditions, est aujourd’hui obligée de se réinventer pour survivre. Les moyens mis en œuvre par les acteurs suffiront-ils à relancer une machine grippée ?

Une crise inédite

Pour comprendre la décision d’Alrosa et de De Beers, il faut retourner à la fin du premier trimestre 2020. En mars, la vague de contaminations à la Covid-19 dans le monde a obligé plusieurs pays à mettre en place des restrictions. Des vols ont été suspendus et des frontières fermées. Or, l’une des caractéristiques majeures de l’industrie du diamant réside aujourd’hui dans les sessions de vente organisées par les compagnies. Chaque bimestre ou trimestre, ces dernières invitent leurs clients à des rencontres où sont exposées les pierres précieuses proposées à la vente. Les clients peuvent ensuite choisir les lots qui les intéressent et payer le prix fixé. Les diverses restrictions ayant rendu impossible le déplacement des clients, De Beers, Lucara ou encore Gem Diamonds et Lucapa ont dû annuler plusieurs sessions traditionnelles de vente fin avril et durant tout le deuxième trimestre de l’année.

Les diverses restrictions ayant rendu impossible le déplacement des clients, De Beers, Lucara ou encore Gem Diamonds et Lucapa ont dû annuler plusieurs sessions traditionnelles de vente fin avril et durant tout le deuxième trimestre de l’année.

« Ce qui s’est passé au deuxième trimestre, je ne l’ai jamais vu de ma vie. Il n’y avait pas vraiment de marché du diamant brut qui fonctionnait correctement », a déclaré Bruce Cleaver, PDG de De Beers, à Reuters.

Les importations indiennes de diamants bruts ont plongé de 1,5 milliard de dollars en février à seulement 1 million de dollars en avril, selon les données du Gem & Jewellery Export Promotion Council. Anvers, autre plaque tournante du diamant, a vu ses importations de diamants bruts chuter de 20 % en glissement annuel, au premier semestre, selon les données de l’Antwerp World Diamond Centre. Les exportations de diamants polis de la ville ont chuté de 46 %.

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« Ce qui s’est passé au deuxième trimestre, je ne l’ai jamais vu de ma vie. »

En ce qui concerne les opérations minières, les restrictions ont également abouti à des fermetures temporaires de mines en Afrique du Sud, en Tanzanie, ou encore au Lesotho, qui figurent parmi les principaux pays producteurs en Afrique. Tout cela a remis en cause nombre de prévisions annuelles d’autant plus que l’intérêt des acheteurs diminuait. En effet, les boutiques de bijoux ont été désertées par les consommateurs, obligeant la plupart des détaillants à suspendre leur approvisionnement.

S’adapter ou succomber…

Avant de se résoudre à réduire les prix des pierres précieuses, les producteurs de diamants ont d’abord pris plusieurs mesures pour résister, du mieux possible, à la pandémie. De Beers, qui opère sur plusieurs projets en Afrique, a par exemple proposé de rapprocher ses gemmes des potentiels clients. Alors que la société organise depuis quelques années ses ventes à Gaborone au Botswana, la délocalisation vers de grands centres d’achat de pierres comme Anvers (Belgique) ou Mumbai (Inde) était censée limiter l’impact des restrictions sur ses revenus.

La canadienne Lucara Diamond, active sur la grande mine Karowe au Botswana, est de son côté allée plus loin, en bouclant mi-juillet un accord de coopération avec la société anversoise HB. Cette dernière, spécialisée dans la taille des pierres précieuses, prendra en charge le polissage de tous les diamants de plus de 10,8 carats extraits par la compagnie à Karowe. Lucara sera ensuite payée, selon le prix récolté, après les ventes des bijoux, au lieu de se soumettre aux fluctuations du marché en maintenant les appels d’offres dans cette période très incertaine.

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La grande mine Karowe au Botswana

« Cet accord permettra de générer des revenus réguliers à des conditions de prix supérieures à celles pratiquées dans le cadre de l’appel d’offres », expliquait alors Eira Thomas, PDG de la compagnie, précisant que la résilience de l’industrie passerait par ce type de coopération « entre les producteurs, les fabricants et les détaillants, afin d’établir une chaine d’approvisionnement mondiale en diamants, plus saine et plus efficace ». Elle va plus loin en déclarant que cette pandémie montre qu’il existe une « réelle possibilité de moderniser le système de vente dans l’ensemble du secteur du diamant ».

Elle va plus loin en déclarant que cette pandémie montre qu’il existe une « réelle possibilité de moderniser le système de vente dans l’ensemble du secteur du diamant ».

Toujours dans le but de soutenir la demande, plusieurs petites sociétés diamantifères sont allées jusqu’à proposer des rabais de 25% sur le prix des pierres. Cela a peut-être achevé de convaincre De Beers et son grand rival russe Alrosa de consentir à céder du terrain sur les prix. L’information relayée par Bloomberg et faisant état d’une réduction d’environ 10% sur les prix de certains diamants chez De Beers, mais aussi d’un rabais important consenti par Alrosa pour les sessions de vente du mois d’août sonne en effet comme un aveu de capitulation. Acculés par des résultats décevants, depuis des mois, et une part de marché en baisse en raison de la concurrence agressive des petites sociétés, les deux géants sont finalement revenus sur leurs positions.

Premiers résultats encourageants…

La réduction des prix des diamants proposés ou la baisse voulue des volumes de production des mines ont-elles eu un impact significatif ou s’agit-il d’un regain normal de l’intérêt des acheteurs pour les pierres ?

Acculés par des résultats décevants, depuis des mois, et une part de marché en baisse en raison de la concurrence agressive des petites sociétés, les deux géants sont finalement revenus sur leurs positions.

Quoi qu’il en soit, les ventes réalisées fin août par les compagnies ont été les meilleures depuis des mois. Les acheteurs ont dépensé, apprend-on de sources citées par Bloomberg, près d’un demi-milliard $ en diamants bruts. De Beers aurait réalisé un chiffre d’affaires de 300 millions contre 200 millions $ pour Alrosa. Si ce chiffre, non confirmé jusque-là, représente pour le groupe sud-africain pratiquement la moitié des standards d’avant la pandémie (545 millions $ pour le premier cycle de vente en 2020), il reste tout de même meilleur, en comparaison avec la mévente de ces derniers mois.

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Aux Etats-Unis, la plupart des magasins sont toujours fermés.

« Je pense que le pire est passé et qu’il y a des raisons d’être optimiste […] Il existe de véritables signaux sur les consommateurs qui confortent la conviction du milieu que les affaires reprennent. L’industrie est en meilleure santé qu’elle ne l’a été depuis un certain temps », s’est d’ailleurs réjoui Stephen Lussier, responsable des consommateurs et des marques à De Beers.

Cependant, des craintes demeurent chez certains analystes. Les grossistes ont certes recommencé les achats en prévision d’une demande plus forte chez les consommateurs de bijoux, mais on n’est pas à l’abri d’une nouvelle vague de restrictions. Par ailleurs, la demande est plus ou moins inégalement répartie.

« Je pense que le pire est passé et qu’il y a des raisons d’être optimiste […] Il existe de véritables signaux sur les consommateurs qui confortent la conviction du milieu que les affaires reprennent. »

L’une des plus grandes sociétés de vente de bijoux, Tiffany, a bien illustré cette situation la semaine dernière. Alors que ses activités se portent mieux en Asie (Chine et Inde notamment), c’est tout le contraire aux Etats-Unis où la plupart des magasins sont toujours fermés à cause du maintien de certaines mesures. Le pays est en effet l’un des plus grands foyers mondiaux du coronavirus.

Pour l’heure, la reprise des ventes est déjà un bol d’air satisfaisant pour les compagnies et par ricochet pour les pays producteurs. Il faudra désormais espérer la découverte rapide d’un vaccin pour relancer définitivement la machine.

Agence Ecofin

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